Jeune Afrique accuse l’Agence d’Information d’être… une officine du M23 !

10/08/2013
10/08/2013

La guerre de l’information se déplace sur les bords de Seine… Pour Jeune Afrique, dénoncer la collusion des FDLR et de l’ONU serait le signe le plus évident d’un manque d’objectivité…

Ce 8 août était publié sur le site internet de Jeune Afrique un article de Trésor Kibangula sur les « relais de propagande à l’étranger » du M23, mouvement de guérilla congolais opposé à Kabila et désormais fameux pour la diabolisation dont il fait l’objet dans la presse mondiale – et même au-delà, jusque dans l’imaginaire de tout-un-chacun.

Parmi ceux que le journaliste aura catégorisé de « principaux nouveaux relais de propagande » du M23 était désigné le site internet de l’Agence d’Information, que nous avons créée il y a deux mois pour « observer la première intervention "offensive" de l’ONU » en République Démocratique du Congo, et avec pour ambition de mener « un travail d’information indépendant, dépassionné, et à la source » pour tenter de « rétablir droit et devoir d’information » alors que la désinformation, structurée et bien ordonnée, appuyée par de nombreux relais, s’évertue à rendre inintelligible ce qui se passe au Kivu depuis maintenant presque 20 ans.

Avant de publier son article, Trésor Kibangula aura interrogé par téléphone l’un des collaborateurs de l’agence, en la personne de Bruno Gouteux, lui demandant avec insistance si l’Agence d’Information était financée par le M23… Malgré le démenti apporté par notre collaborateur, le journaliste de Jeune Afrique aura néanmoins jugé pertinent de signaler à ses lecteurs que le site de l’Agence faisait « la propagande du M23 », « à côté de plusieurs autres sites internet, pages Facebook et comptes Twitter », ce qui selon lui est attesté par « son positionnement » et « le ton des articles publiés ».

Pour démontrer sa thèse, Jeune Afrique prend pour « preuve » la copie d’un message Twitter annonçant une dépêche publiée sur notre site, en date du 17 juillet. Ainsi, cette dépêche serait, selon Trésor Kibangula, l’indication certaine – se passant même de commentaires – que l’Agence d’information compte parmi les « relais de propagande du M23 ».

Le journaliste aura ainsi choisi, parmi l’ensemble des dépêches que nous aurons publiées, l’une des rares qui consiste en la reproduction simple d’un document, en l’occurrence une lettre officielle de l’ambassadeur du Rwanda au secrétaire général de l’ONU s’inquiétant de la collaboration entre les forces génocidaires (FDLR) et la Brigade d’intervention de l’ONU (document classé par l’ONU sous la référence S/2013/402). Ne serait-il pas plus pertinent alors de nous accuser d’être directement stipendiés de Kigali ? C’est d’ailleurs ce qui est suggéré insidieusement, notre collaborateur étant présenté comme faisant partie de plusieurs associations « de soutien au peuple rwandais ». Sont ainsi listées l’association France Rwanda Génocide et la revue La Nuit rwandaise, dont les objectifs sont de dénoncer l’implication de la France et son engagement militaire, financier et diplomatique dans la mise en œuvre du génocide des Tutsi, en 1994, au Rwanda.

Dans la même veine, on aura déjà vu il y a quelques années Pierre Péan, n’hésitant pas à traiter l’ensemble de ceux qui travaillaient à la dénonciation citoyenne de l’implication française dans le génocide des Tutsi de « cabinet noir » de Kagame – ou, mieux encore, de « blancs menteurs ». On se souvient aussi de comment le leader du parti colonialiste à l’assemblée, Jacques Myard, dénonçait ceux qui mettent en cause les responsabilités françaises comme des « idiots utiles »« utiles » à « l’adversaire » rwandais, bien sûr. Contrairement au journaliste de Jeune Afrique, ce dernier devinait au moins notre « désintéressement »...

Mais revenons à l’objet du délit, ce « Twit » de l’Agence reproduit sur le site de Jeune Afrique :

Il s’agissait donc d’une lettre de l’ambassadeur du Rwanda (et non du M23, deux réalités bien différentes, n’en déplaise à Jeune Afrique), adressée au secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki Moon. Et que disait cette lettre ?

« Des commandants de la brigade d’intervention [de l’ONU] des rangs les plus élevés ont rencontré à plusieurs reprises leurs homologues des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) avec lesquels, d’après les informations crédibles, fiables et détaillées dont dispose le Gouvernement rwandais, ils ont évoqué différentes formes de collaboration tactique et stratégique. »

L’ambassadeur du Rwanda à l’ONU, M. Gasana, dénonçait aussi « des cas de collaboration entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les FDLR, souvent au vu et au su de certains membres de la brigade d’intervention, voire avec leur accord ».

Le gouvernement rwandais se disait « en possession d’informations fiables faisant état de plusieurs cas, dont certains cautionnés par les commandants de la brigade d’intervention, d’intégration d’unités ou de commandants des FDLR aux unités de commandos des FARDC près de la frontière rwandaise ».

Il dénonçait enfin que « les cas de livraison aux FDLR de grandes quantités d’armes et de munitions par des officiers des FARDC se sont multipliés, au vu et au su des commandants de la brigade d’intervention ».

Cette dénonciation est particulièrement grave, et l’information aurait certes mérité d’être plus largement reprise. Notons que Jeune Afrique aura ainsi omis de le faire.

Rappelons que l’Agence d’Information est née en réaction à la résolution 2098 du Conseil de sécurité, avec cette inquiétude de ce que la stratégie d’ensemble de l’ONU, pilotée par la France, puisse abuser de complaisances envers les anciens génocidaires rwandais appuyés par la France sans discontinuer, avant, pendant comme après le génocide des Tutsi, et jusqu’à aujourd’hui donc, en République démocratique du Congo, à l’heure où l’antitutsisme s’y est implanté avec force, sous les régimes successifs de Kabila père et fils.

Le fait qu’un journaliste de Jeune Afrique puisse considérer comme critiquable qu’on s’intéresse à cette dimension des choses est, en soi, très parlant quant à sa propre vision. Jeune Afrique se désintéresserait du fait que l’ONU puisse entretenir des contacts avec les forces génocidaires ? Ou, pire, considérerait malséant qu’on s’y intéresse ? C’est précisément le désintérêt de la presse, comme de la conscience collective – sans parler des forces politiques –, qui motive notre action, n’en déplaise à Trésor Kibangula.

L’Agence d’Information s’inscrit dans le prolongement des travaux d’investigation citoyenne que nous produisons depuis vingt ans, pour dénoncer cette politique particulièrement inadmissible de l’Etat français, qui encourage, soutien et sponsorise les entreprises racistes les plus abjectes dans la région des Grands Lacs – avec, malheureusement, la complicité d’une bonne part de la presse française et internationale.

Le fait que nous soyons sévères envers ces complicités inouïes avec un tel parti impliquerait que, symétriquement, nous adhérions au M23… Comme s’il fallait dans cette affaire se ranger forcément dans un camp. Dans une telle logique binaire, faudrait-il comprendre que Jeune Afrique adhère ainsi au parti génocidaire ?

Notre parti pris déclaré est en faveur de la vérité et de la justice, et notre vocation de comprendre – aucunement de nous aligner ni sur l’un ni sur l’autre des partis dont notre connaissance, surtout à distance, est forcément partielle, et dont nous ne pouvons savoir ce qu’ils feront demain. Qu’il ait fallu par contre, depuis des semaines, dépêche après dépêche, rectifier les inepties qui sont produites contre le M23, c’est un fait. Plus encore, qu’il nous faille jour après jour ramer pour dénoncer la scandaleuse stratégie onusienne superbement ignorée par l’ensemble de la presse mondiale – c’est aussi un fait.

Rappelons qu’un des premiers objectifs de l’Agence d’Information est d’informer non seulement le public, mais aussi la presse, si peu attentive au drame qui se noue à l’est du Congo. Plutôt que de nous insulter gratuitement, le spécialiste du Kivu de Jeune Afrique ferait mieux de s’y inspirer parfois, au lieu de colporter, par exemple, les élucubrations du gouverneur Paluku sur les « shebbabs » qui combattraient au côté du M23 soudain assimilé à Al-Quaeda et au péril islamique…

C’est le fait que la propagande puisse descendre jusqu’à ce degré abyssal qui est particulièrement inquiétant, quand on sait qu’un horrible procédé par métonymies aura déjà permis d’associer le M23 aux Tutsi, et au Rwanda, dans l’esprit d’un « nationalisme » congolais aussi dévoyé et engagé dans la voie d’un racisme simplement destructeur que pouvait l’être il y a vingt ans le « hutu power » rwandais. Dévoyé comme est dévoyée aujourd’hui l’action de l’ONU affichée en défense des femmes et en fait solidaire de leurs principaux agresseurs.

Très au-delà de nous, nous ne pouvons qu’inviter Jeune Afrique, comme le reste de la presse, spécialisée ou pas, à éviter de s’enfoncer dans cet effroyable piège néo-colonial qui ne vise qu’à maintenir le Congo non seulement dans le cycle sans fin de la violence, mais dans la misère dont ce pays, pourtant si riche, est scandaleusement affligé. Un nationalisme authentique ne peut que s’alerter de voir encore et toujours Belges, Américains et Français – le trio néo-colonial jadis responsable de l’élimination de Patrice Lumumba –, aujourd’hui à la manœuvre pour encourager le racisme radical, comme ont pu le faire les Français au Rwanda il y a vingt ans.

Un journalisme authentique ferait mieux de s’inquiéter des déclarations du ministre des affaires étrangères de RDC, Raymond Tshibanda, le 25 juillet, devant le Conseil de sécurité – sous présidence ce jour-là du secrétaire d’Etat américain, John Kerry –, désignant les rébellions à combattre comme porteuses de « la même signature génétique » – et ce sans susciter la moindre protestation. De même, le Conseil de sécurité devrait s’inquiéter de ce que la Tanzanie – dont un officier dirige les trois mille hommes de la brigade offensive, qui est aussi composée pour un tiers de troupes tanzaniennes –, vienne d’ordonner l’expulsion de son territoire de tous les citoyens d’origine rwandaise, cette mesure frappant aussi bien les « sans-papiers » que les tanzaniens d’origine rwandaise, naturalisés depuis belle lurette. Ceci alors que le Président tanzanien déclarait il y a peu que le parti génocidaire rwandais – les FDLR –, devrait être accepté à la table de négociation régionale où participe le Rwanda… De même, journalistes et diplomates pourraient s’alerter du nombre d’arrestations arbitraires de « rwandais » ou assimilés « M23 » auxquelles se livre la police de Kabila, à Goma et à Bukavu, sous les yeux de l’ONU.

Et, puisqu’il s’intéresse à la guerre de l’information, on pourrait suggérer à Trésor Kibangula de se pencher sur des sujets aussi passionnants que l’association qui porte de le nom de « Société civile », véritable officine de propagande, elle, – d’ailleurs sponsorisée par l’ONU –, qui proclame avec constance les discours les plus radicaux en diffusant jour après jour les informations les plus fantaisistes visant à incriminer « Rwandais » ou « M23 ». Une véritable enquête sur les discours en circulation pourrait aussi explorer l’enfer de la blogosphère ou des réseaux sociaux, où les propos les plus haineux et l’idéologie la plus étroitement raciste ont largement cours.

Un spécialiste du Kivu ne perdrait pas son temps, et en donnerait pour leur argent à ses lecteurs, s’il prenait la peine de démonter les rapports, commandités par l’ONU ou par d’honorables ONG telle Human rights Watch ou Amnesty international, qui se sont abattus successivement pour travestir le tableau de la situation et égarer sciemment l’action internationale au bénéfice d’un parti qui n’est pas que virtuellement génocidaire. Il ne tarderait pas à découvrir les plus manifestes complicités – et l’efficacité de ce qu’il faut bien appeler le lobby génocidaire français, toujours actif, intact depuis 1994 – aucune « épuration » ne s’étant produite. Un spécialiste de politique africaine pourrait trouver intérêt à observer dans ce cas d’école comment ce parti génocidaire français aura même renforcé ses positions dans la région et au-delà. Quiconque s’intéressant au génocide se doit ainsi de recalculer la stratégie génocidaire à l’échelle du temps, et comment ses effets délétères sont malheureusement à enregistrer sur le long cours.

Aussi un journal digne de ce nom corrigerait dans l’esprit du public l’information plus que fantaisiste, mise en circulation puis promue par des individus tels que Pierre Péan, suivant laquelle les « rwandais » seraient responsables de « millions » de morts au Congo, 2, 4, 5, 6, 8 et même 10 ou 12 selon les dernières « estimations » qui parviennent à mobiliser des manifestants jusque dans les rues de Paris ou Bruxelles. Ces chiffres extraordinaires tiendraient à une surmortalité causée par une supposée détérioration des conditions sanitaires attribuable au conflit, qui constitue l’essentiel des six millions de morts que Péan prétend dénoncer. Les lecteurs de Jeune Afrique gagneraient à savoir qu’une telle « surmortalité » ne s’est simplement pas produite, et que cette idée reçue, en passe de s’implanter banalement dans la conscience collective, est simplement une manipulation grossière.

Par contre, d’épingler les rares sites qui tentent de diffuser une information objective – même si certains affichent leur sympathie pour le M23 ou avec le Rwanda (là encore, deux réalités différentes) –, n’est pas forcément le plus urgent. Au contraire de voir là des officines de « propagande », le journaliste aurait pu s’émouvoir du travail improbable de ces entreprises, le plus souvent unipersonnelles, qui, envers et contre tout, s’affrontent tous jours au mur de la désinformation.

Un représentant de la presse panafricaine à Paris serait également bienvenu à s’intéresser à l’action de la France à l’ONU, et au DPKO (ainsi qu’on appelle le département en charge des forces de « maintien de la paix »), qu’elle dirige par l’entremise de Hervé Ladsous, le Français actuellement à sa tête. Et en profiter pour tirer un coup de chapeau au remarquable travail de contre-information à ce sujet qui a été mis en œuvre jusque dans les couloirs de l’ONU, l’indignation citoyenne n’ayant pas de frontières. Ainsi, il donnerait à voir le parti génocidaire français en action, qui n’a même pas pris la peine de renouveler son personnel depuis 1994, et qui bénéficie, aujourd’hui comme hier, du désintérêt complice de trop nombreux journalistes.

L’Agence d’Information

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 10/08/2013
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