RDC Pourquoi la France soutient-elle Kalev Mutond ?

16/12/2016
16/12/2016

Au delà des querelles diplomatiques de façade, la synergie entre la France et la RDC est au beau fixe. Elle conduit à une nouvelle étape de la stratégie de la violence dans un tournant très délicat de l’histoire du pays.

Le 12 décembre dernier en début de matinée, l’Union Européenne (UE) communique qu’elle a gelé les avoirs et interdit de séjour dans les pays membres sept hautes personnalités de l’appareil sécuritaire de la République démocratique du Congo (RDC). Parmi ceux-ci et avec le chef de la police Célestin Kanyama, le patron du service de renseignement militaire Delphin Kahimbi et Roger Kibelisa, chef du département de la sécurité intérieure de l’agence nationale de renseignements (ANR).

Quelques heures après, des sanctions similaires sont prises par les Trésor américain à l’encontre du ministre de l’Intérieur rdcongolais Evariste Boshab et de l’administrateur général de l’ANR Kalev Mutond. Ce dernier est accusé d’être responsable d’arrestations extrajudiciaires, tortures et intimidations violentes et est aussi soupçonné d’exportation illégale de minerais du Kivu.

Véritable cerveau de la répression et membre du cercle restreint du régime, Kalev Mutond est omniprésent à côté du chef de l’Etat Joseph Kabila dans toutes les manifestations officielles. Cet originaire du Sud Katanga figurait en principe dans la liste de l’UE. Selon l’une de nos sources à Bruxelles, concordante avec les affirmations via les réseaux sociaux de la correspondante de RFI à Kinshasa, Sonia Rolley, et de l’ancien membre du panel des experts des Nations unies sur la RDC, Jason Sterns, son nom a été retiré suite aux pressions de la France. Son représentant au sein du conseil créé ad hoc par l’UE aurait invoqué le profil politique du fonctionnaire dans un groupe de haut responsables tous militaires…

Tête pensante en matière de prévention et manipulation « antisubversives », cet ancien cadre de la jeunesse du parti unique (MPR) à l’époque du Maréchal Mobutu est un brillant concepteur et divulgateur du story-telling et de la narration officielle dans un régime porté à la pratique systématique de la violence dans l’exercice du pouvoir. A l’époque de la guerre contre le M23 (2012-2013), la responsabilité des roquettes lancées à partir des positions de l’armée régulière (FARDC) sur la ville de Goma était attribuée au mouvement rebelle par les différentes réseaux de la dite société civile du Nord-Kivu infiltrée par les hommes de l’ANR.

Plus récemment, un rapport de l’ANR concernant les fameux ateliers de Dakar sur l’« alternance démocratique », organisés en décembre 2015 par divers collectifs d’opposants africains, avait ouvert la voie à la chasse aux militants de la Lucha et de Filimbi, les deux formations politiques rdcongolaises qui avaient participé à la manifestation sénégalaise.

En juillet dernier, Mutond est intervenu personnellement auprès de la juge Chantal Ramazani en l’obligeant à condamner l’opposant, ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, sur la base d’un procès avec pièces d’accusation préfabriquées.
Mais au-delà de ces actions de « routine », l’homme est aux manettes des principales opérations grises menées par le pouvoir dans le cadre de sa stratégie de « management par la terreur » visant les populations civiles.

Avec les généraux Akilimali Muhindo, dit Mundos, et Delphin Kahimbi, chefs des renseignements militaires, l’administrateur général de l’ANR est, selon plusieurs sources concordantes, dont les services de renseignements d’un pays voisin, le concepteur de la « sale guerre » de Beni, au Nord-Kivu, où des tueurs organisés par une unité spéciale des FARDC pratiquent, depuis octobre 2014, les massacres à la machette contre villageois et habitants des agglomérations urbaines.

Son implication dans crise au Burundi nous est également signalée par une source sécuritaire de ce pays. Kalev Mutond aurait fait l’intermédiaire entre ses homologues burundais et le général français Jean Baillaud, chef militaire des forces onusiennes en RDC, figure de proue du DPKO, le département des opérations de maintien de la paix des NU, et théoricien de l’« approche globale », une variante de la doctrine contre-insurrectionnelle de la « guerre révolutionnaire ».

Des relations de très haut niveau et des œuvres à géométrie variable à l’échelle sous-régionale, qui propulsent ce sécurocrate au génie pervers dans le double rôle d’homme fort au service du président Kabila et de pièce importante du jeu de la France dans les Grands Lacs et en Afrique Centrale. Le veto de Paris, via ses services de renseignements, aux sanctions de l’UE proposées contre sa personne, est emblématique et ses échanges avec ses homologues français sont fréquents. Son dernier voyage connu à Paris remonte au 10 octobre. Ce jour là, son arrivée à l’aéroport Charles De Gaulle fut signalée par une tentative d’agression vite maîtrisée par un opposant à la sortie du tarmac.

Très écouté par ses interlocuteurs, Mutond rencontre souvent des hautes personnalités françaises travaillant sur le dossier congolais. Jean-Michel Dumond, patron sortant de l’UE à Kinshasa, s’est rendu plusieurs fois dans sa résidence de l’avenue Ma Campagne la semaine précédant son départ. Et il a eu soin de ne pas prévenir sa hiérarchie à Bruxelles de ces entretiens…

Ce19 décembre au soir marque l’expiration du mandat de Joseph Kabila dans un climat de tension accrue par la décision de ce dernier de se maintenir au pouvoir et celle de l’opposition de mobiliser la rue. Des sources fiables disent le patron de l’ANR prêt à l’application du plan B de la majorité présidentielle.

Ses nervis seraient en effet en train d’organiser les enfants de la rue, les shegués, et les délinquants appelés Kuluna – depuis le temps encadrés et manipulés comme forces irrégulières et espions par l’ANR –, afin de créer des désordres à mettre ensuite sur le compte des opposants.

La stratégie du chaos, arme de choix du couple Kinshasa-Paris, connaitrait ainsi son heure de gloire ?

Pour l’Agence d’information,
Luigi Elongui

Mis en ligne par L’Agence d’information
 16/12/2016
 https://lagencedinformation.com/105-rdc-pourquoi-la-france-soutient.html
Sauf mention contraire, droits de reproduction et diffusion autorisés selon la licence Creative Commons Attribution BY-SA 4.0

La Nuit rwandaise 11 - Volume 1 | La Nuit rwandaise 11 - Volume 2

LE TARTUFFE OU L’IMPOSTEUR / ARCHIVES & TÉMOIGNAGES / LES FAITS SONT TÊTUS / DOCUMENTS / NEGATIONNISME ET EGLISE / RWANDA, DEMAIN / LA NUIT BURUNDAISE / LA NUIT CONGOLAISE / DOCUMENTS / DOSSIER DGR / RWANDA, ILS ECRIVENT / REMERCIEMENTS


 En savoir plus

Voir aussi

RDC Congo Chaos en gestation à l’Est

 Derrière l’opération, les réseaux d’élite politico-économiques liés au gouvernement et certains haut gradés proches de la maison militaire du chef de l’Etat. DRC (...)

Derrière l’opération, les réseaux d’élite politico-économiques liés au gouvernement et certains haut gradés proches de la maison militaire du chef de l’Etat.

DRC Congo Chaos in gestation in the East

A coalition of armed groups has been created in the North Kivu

Behind this operation, the networks of the economic and politic elite linked to the government and some high rank officers which are closely related to the military house of the head of state

Mis en ligne par L’Agence d’information

 30/03/2015

Le prisonnier des Grands Lacs

 Si l’histoire a démontré que l’ancien président du CNDP n’était pas à l’origine des problèmes qui sévissent encore aujourd’hui à l’Est de la RDC et dans tout le pays, (...)

Si l’histoire a démontré que l’ancien président du CNDP n’était pas à l’origine des problèmes qui sévissent encore aujourd’hui à l’Est de la RDC et dans tout le pays, son élargissement – mesure à prendre dans un cadre régional et par volonté du président Kabila –, pourrait être l’initiative majeure pour consolider le processus de paix et mettre fin à une situation de non-droit.

If history has shown that the former chairman of the CNDP was not the cause of problems that still plague today in eastern DRC and throughout the country, its enlargement – action that should be taken in a regional framework and by the will of President Kabila –, could be the major initiative to consolidate the peace process and put an end to a situation of lawlessness.

Mis en ligne par L’Agence d’information

 24/01/2014

RDC MONUSCO / FARDC : doutes sur une opération conjointe

 Le soutien militaire apporté par les forces de l’Onu au gouvernement congolais pour la sécurisation des populations du Nord-Kivu victimes d’atrocités depuis (...)

Le soutien militaire apporté par les forces de l’Onu au gouvernement congolais pour la sécurisation des populations du Nord-Kivu victimes d’atrocités depuis dix-huit mois suscite nombreuses interrogations et critiques. L’ennemi qu’on déclare viser appartient à l’ordre du virtuel alors que l’implication de hauts officiers des forces régulières congolaises (FARDC) dans les massacres est désormais acquise.

Mis en ligne par L’Agence d’information

 25/05/2016