12/12/2015 - Alors que l’on se prépare au pire au Burundi, comme on aura pu s’en rendre compte en prenant connaissance de l’effarant discours - à lire ci-dessous - de Révérien Ndikuriyo [2], le président du Sénat, tenu le 1er novembre dernier à Bujumbura lors d’une réunion rassemblant les chefs de quartiers et les cadres du CNDD-FDD pour les « sensibiliser », on apprenait la semaine dernière que les frontières burundaises étaient en train d’être bouclées, les civils qui tentent de fuir les persécutions étant empêchés de quitter le pays par les miliciens affiliés au parti au pouvoir, les Imbonerakure, qui circulent le long des frontières [3].
« Les milices affiliées au parti au pouvoir continuent de terroriser la population, parfois en coopération avec la police, qui a verrouillé des quartiers entiers » - M. Zeid Ra’ad Al Hussein
Entre 200 000 à 300 000 Burundais terrorisés par ces miliciens Imbonerakure ont d’ores et déjà fui le Burundi pour la Tanzanie, le Rwanda ou encore l’Ouganda : « une majorité d’entre eux sont des Tutsi », rappelait début novembre Jean-François Dupaquier, tandis que « Pierre Nkurunziza et son groupe tentent de ressusciter les manipulations identitaires », et les oppositions « ethniques » pour « bricoler un semblant de légitimité et d’adhésion populaire » en essayant de diviser les Burundais alors que l’opposition à son troisième mandat transcende de toute évidence les clivages ethniques et même partisans :
« Hutu et Tutsi confondus, les milliers de manifestants contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza n’avaient pas en tête l’appartenance « ethnique » de tel ou tel dignitaire. Ils voulaient sortir d’un régime d’incurie, de népotisme et de corruption à grande échelle, qui maintient le pays dans la misère. » – Jean-François Dupaquier
« Un génocide politico-ethnique est en cours au Burundi », alertait encore le 15 novembre dernier Libérat Ntibashirakandi [4], lançant un « cri d’alarme » à destination des citoyens du monde appelés à alerter leur gouvernement « pour que des mesures soient prises de toute urgence pour protéger la population burundaise en danger ».
Quelques jours après cet appel, le 23 novembre, le gouvernement américain [5] décidait de prendre des sanctions contre quatre responsables burundais, « des individus au sein du gouvernement qui contribuent aux troubles, affaiblissent les institutions démocratiques et se rendent coupables d’atteintes aux droits de l’homme » [6].
Malgré l’urgence, la France et le Conseil de sécurité se satisfont d’un appel au « dialogue inclusif »
L’ONU, qui a donc pourtant bien pris toute la mesure de la tragédie qui est en train de se jouer quotidiennement au Burundi depuis plusieurs mois, tarde, de son côté, à appliquer des sanctions.
Le Conseil de sécurité de l’ONU s’inquiétait déjà, le 28 octobre dernier, de « la multiplication des violations et des atteintes aux droits de l’homme, y compris les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, les arrestations arbitraires et les détentions illégales. » Lors de sa 7546e séance, le Conseil de sécurité notait, « avec une grande inquiétude l’impunité qui règne, les assassinats quotidiens, les restrictions à l’exercice de la liberté d’expression, y compris pour les journalistes, et la dégradation continue de la situation humanitaire. » [7]
Quelques jours plus tard, le 9 novembre, un projet de résolution prévoyant des sanctions [8] envers les responsables de violences circulait dans l’enceinte onusienne avant que la France ne propose et ne fasse adopter un texte de résolution [9] « légèrement en deçà », l’instauration d’un régime de sanctions [10] ou l’adoption d’une résolution plus contraignante étant jugées « contre-productive » par la diplomatie française : la résolution finalement proposée par la France demande l’envoi d’une « équipe d’experts » pour « préparer dans les deux semaines à venir des ’options’ », le Conseil de Sécurité, tout en « prenant note de la décision de l’Union africaine d’imposer des sanctions [11] », affirmant ainsi audacieusement sa ferme volonté de « rester activement saisie de la question »...
Dans un article qui semble lui avoir été dicté par la diplomatie française, la correspondante du Monde aux Nations Unies se félicite du « signal fort » envoyé aux autorités burundaises qui sont maintenant placées « sous le radar onusien », le Conseil de sécurité allant même jusqu’à « envisager des mesures additionnelles » et à demander à Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, de « revenir dans quinze jours ».
« Une décision non contraignante » et « qui a peu de chances d’aboutir à quoi de ce soit », comme l’affirme un diplomate interrogé par la journaliste avant qu’elle ne rappelle la position française, soit la volonté de ne rien faire de contraignant et de ne pas appliquer de sanctions : la résolution écrite par la France est ainsi considérée comme « un pas en avant important » par le représentant français à l’ONU, François Delattre, qui, trahissant la réalité, « se défend d’avoir fait adopter une résolution minimaliste ».
Pourquoi s’opposer à des sanctions au Burundi ?
Pourquoi s’opposer à des sanctions au Burundi, alors qu’il apparaît clairement - espérons que l’Union européenne l’ait compris* - que c’est la seule façon de contraindre le régime de Nkurunziza, dont la survie dépend fortement de l’aide internationale, à cesser ses exactions et à ne pas s’enfoncer dans la guerre civile pour assurer son maintien au pouvoir ?
Pour la correspondante du Monde, c’est par « réalisme » que les Français auraient proposé une résolution non contraignante. Elle rapporte ainsi que selon François Delattre, les membres africains du Conseil de sécurité (Angola, Nigeria, Tchad) s’opposeraient aux sanctions tout en « prenant note de la décision de l’Union africaine d’imposer des sanctions [12] »...
« Contre-productives » ? Il ne semble pas déraisonnable de se questionner sur la position de la France concernant l’instauration de sanctions, sur laquelle le représentant français à l’ONU, François Delattre, ne s’est donc pas clairement exprimé.
Au vu de l’action française au Kivu ces 25 dernières années, il peut également paraître pour le moins inquiétant que la France soit « pen holder » [13] sur ce dossier burundais [14].
En effet, en proposant un appel au « dialogue inclusif » le 12 novembre dernier en lieu et place de sanctions, la France semble agir comme en 1994, au Rwanda voisin, où, alors que le génocide des Tutsi se termine (15 juillet), elle essaye d’imposer que le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui durant trois mois a piloté le génocide, et le FPR, seule force militaire à avoir tenté d’empêcher les massacres, adoptent un « immédiat et sans préalable » cessez-le-feu après qu’elle eut dans un premier temps proposé le partage du pays, sur une base ethnique.
En 1994, le GIR s’était formé à l’ambassade de France à Kigali, après l’attentat contre l’avion présidentiel, et était soutenu par Paris. Les forces armées rwandaises (FAR), qui accomplissaient le génocide aux côté des miliciens Interahamwe, avaient été formées par l’armée et la coopération militaire françaises. Ils purent, rappelons-nous, durant l’opération Turquoise dépêchée à leur rescousse, rejoindre avec leurs armes et une partie de la population rwandaise la République Démocratique du Congo voisine où ils prirent le contrôle des « camps de réfugiés » avant de former le FDLR, responsable d’innombrables exactions (pillages, viols, assassinats ...) à l’encontre des populations du Kivu.
En 2013, il sévissent encore en RDC, plus de vingt et un an après y voir été réarmés par l’armée française, comme aura pu, entre autres, en témoigner Hubert Védrine [15].
Un rapport de l’ONU [16] confirmait alors que les FARDC collaboraient de façon étroite avec les FDLR que la brigade d’intervention des Nations unies était censée combattre, au même titre que les autres groupes armés : cependant, bien que la résolution 2098 de l’ONU [17] lui ayant donné naissance prévoyait de procéder au désarmement y compris des FDLR, la Brigade offensive de l’ONU - pilotée par le Français Hervé Ladsous - aura combattu à leurs côtés [18], de surcroît en support des FARDC pourtant identifiés comme l’une des principales menaces pour la population civile congolaise... [19]
Ainsi assurés de leur maîtrise de l’agenda médiatique et du « discours narratif » sur le Kivu, en 2014, FARDC et MONUSCO entamèrent une nouvelle séquence : le gouvernement congolais affirmera vouloir désarmer les rebelles rwandais tout en « renonçant à tout soutien de la Monusco dans les opérations de traque » [20] avant d’annoncer, quelques mois plus tard et alors qu’une partie d’entre eux s’est réfugiée au Burundi voisin, qu’il « pourrait revoir sa position quant à la collaboration entre les FARDC et la Monusco dans la traque des rebelles rwandais des FDRL. » [21] Cette « pause dans la coopération avec les FARDC » [22] mise en scène par Albert Mende sur Radio Okapi notamment aura permis à la fois d’exonérer la Brigade offensive et Ladsous d’une action contre les FDLR tout en permettant à ces derniers de gagner le Burundi et d’agir en soutien des milices Imbonerakure de Nkurunziza.
La France au Burundi ?
Si la France intervient en Afrique centrale - MONUSCO, MINUSCA - par le biais de l’ONU et plus particulièrement de son bras armé, le DKPO, elle a également des accords de coopération militaire et policière avec certains des états de la région, dont le Burundi.
À l’heure où « le désarmement urgent des milices doit être une priorité » [23] au Burundi et alors que les forces de sécurité (la police et le redouté SNR, la police politique burundaise) sont impliquées dans les « enlèvements », « les assassinats » ainsi que « des actes de torture », il apparaît nécessaire que soit faite toute la lumière sur la coopération de sécurité et de défense [24] entre la France et le Burundi.
Le gouvernement français annonçait le 15 septembre 2015 que « dès le début des troubles, la France a pris des mesures de précaution conduisant à la suspension des actions de coopération de sécurité et de défense. » Elle aurait aussi « gelé les formations des soldats burundais en écoles militaires en France et en Afrique [25]. »
Bien qu’aucune date ne viennent appuyer ces déclarations, nous en prenons ici acte tout en nous félicitant que la police et les services de renseignements burundais, comme on aura pu le voir largement impliqués dans la dégradation de la situation - pour ne pas une nouvelle fois évoquer les « assassinats quotidiens, la restriction de la liberté d’expression, les arrestations arbitraires ou les détentions illégales » - ne reçoivent plus officiellement de Paris de formation à « la doctrine française [26] », la guerre contre-subversive contre les populations et « l’ennemi intérieur » ni de soutien dans leurs opérations criminelles.
Mais malgré l’urgence de la situation, et alors que le secrétaire adjoint de l’ONU dénonce les « déclarations incendiaires de certaines autorités, dont le Président du Sénat, M. Révérien Ndikuriyo, et le Président burundais », la France a-t-elle réellement mis fin à sa coopération militaire avec le Burundi, quand on sait par ailleurs que le Burundi est encore engagé auprès des forces de maintien de la paix de l’ONU, en République centrafricaine [27], pilotées par la France via le DKPO ?
Inner City Press [28] signalait, le 15 mai 2015, comment Hervé Ladsous aurait demandé que certains des moyens, 9 millions de dollars, du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, le DPKO qu’il dirige donc depuis 2011, soient détournés au bénéfice de Nkurunziza, notamment pour la fourniture de grenades [29] au régime alors que les radios de l’opposition étaient justement attaquées... à la grenade.
Matthew Lee rappelait enfin qu’il n’était « pas surprenant » qu’Hervé Ladsous, qui, en 1994, alors qu’il représentait la France au Conseil de sécurité, soutenait l’exfiltration à l’est du Congo des militaires et miliciens génocidaires Hutu [30] – ceux-là mêmes qui ont donné naissance au FDLR – s’active, aujourd’hui, pour que soient fournies des grenades à Nkurunziza...
* L’Union européenne
L’Union européenne avait adopté début octobre 2015 des sanctions contre quatre personnes, dont, Godefroid BIZIMANA, mais aussi Gervais NDIRAKOBUCA alias NDAKUGARIKA (chef de cabinet de l’administration présidentielle), Mathias/Joseph NIYONZIMA alias KAZUNGU (agent du Service national de renseignement – SNR) et Léonard NGENDAKUMANA (ancien « chargé de mission de la présidence » et ancien général) [31].
L’Union européenne rencontrait ce 8 décembre une délégation burundaise, dans le cadre des accords de Cotonou (procédure de consultation prévue à l’article 96), avant d’éventuellement procéder à la suspension de son aide au Burundi (qui représente 20% de son budget) :
« L’Union européenne considère que les positions exprimées ne permettent pas de remédier globalement aux manquements des éléments essentiels de son partenariat avec la République du Burundi. »
Mais...
« Les consultations sont clôturées et des mesures appropriées seront proposées aux instances décisionnelles de l’Union européenne. Dans l’attente de l’adoption des mesures appropriées, des mesures conservatoires pourraient être prises quant aux activités de coopération en cours et en limitant des activités de coopération nouvelles aux actions à caractère humanitaire ou bénéficiant directement aux populations. L’engagement ferme et opérationnel du Gouvernement du Burundi à participer dans les meilleurs délais au dialogue cité ci-dessus, comme d’ailleurs demandé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 2248 du 12 novembre 2015, constituera un signal positif. » – Communiqué de presse du Conseil européen, 8 décembre 2015 [32].
Nous osions espérer que la France aurait au sein de l’Europe moins de marges de manoeuvre que dans l’enceinte confinée du Conseil de sécurité.
L’Agence d’information
12/12/2015